Quel est l’intérêt
par Michel Bérubé, président
La Fédération a adopté pour objectif au printemps 2016 de faire connaître davantage le potentiel de la généalogie génétique. Il a notamment été question de produire un guide permettant de s’y retrouver, plus particulièrement en ce qui a trait aux différents tests disponibles. Entre-temps, il est possible de s’attarder à la question qui est la plus souvent posée en premier lieu, soit quel est l’intérêt de ces tests.
Il faut d’abord avouer que l’intérêt n’est pas le même pour tous. Nous rencontrons à titre d’exemple des personnes qui, ayant été adoptées, sont à la recherche de leurs parents biologiques, frères ou soeurs y compris. D’autres ayant entendu dire que leurs ancêtres avaient du sang autochtone, écossais, irlandais ou allemand veulent simplement en avoir le coeur net. Enfin, comme l’ADN-Y passe de père en fils à peu près sans modification, tout comme un patronyme, les gens actifs au sein des associations de familles veulent souvent connaître la signature adénique ou biologique correspondant à leur nom de famille. Dans le cas des familles qui partagent plusieurs ancêtres d’origines différentes pour un seul patronyme, cela permet de savoir ou de confirmer que vous descendez bien de la lignée qui descend de X plutôt que de Y ou Z.
Il est également question de triangulation lorsqu’au moins deux porteurs de lignées différentes obtiennent un résultat identique à un test. Si deux personnes testées, qui descendent de deux fils du 1er ancêtre arrivé en Nouvelle-France, ont le même résultat en termes d’ADN-Y, cela signifie qu’ils l’ont tous deux hérité de l’ancêtre commun, ce qui permet du même coup de connaître la signature adénique de cet ancêtre…sans avoir à le déterrer. Par un test portant sur l’ADN-Y, il est également possible de découvrir des micromutations dont les membres d’une famille peuvent être porteurs, aussi appelées SNPs pour Single Nuclear Polymorphism. Celles-ci permettent d’établir que nous appartenons en ligne directe à un groupe d’individus provenant autrefois de telle ou telle région du monde. Il existe une classification internationale par grands groupes, nommés haplogroupes, et par sous-groupes, nommés sous-clades.
À ce jour, j’ai vu des gens chercher leurs origines dans le sud de la France, d’où venait leur ancêtre, alors que leur ADN témoigne plutôt d’origine nordique ou scandinave. D’autres dont l’ancêtre venait de Normandie ont au contraire des origines au Pays Basque ou en en Méditerranée, Italie du Sud, Sicile ou Espagne. Ce n’est pas parce que nos ancêtres sont surtout venus de France que nos racines sont pour autant homogènes. Il semble y avoir au contraire une grande diversité dans le bassin génétique des Québécois.
Le test le plus populaire et le plus révélateur sur ce plan est le Family Finder de FTDNA (FamilyTreeDNA) dont l’équivalent est aussi offert par Ancestry. C’est aussi le moins dispendieux (79$US présentement avec FTDNA). Les Américains, qui se sont promenés d’un État à un autre, en modifiant de plus leur patronyme, ont beaucoup recours à ce test pour en savoir plus sur leurs origines. Un individu qui se pensait complètement d’origine britannique peut ainsi apprendre, à titre d’exemple, que son ADN est en réalité à 30% Irlandais, 30% Scandinave, 20% Italien, 10% de la diaspora juive et 10% Autochtone. Ce test porte sur l’ADN autosomal, c’est-à-dire l’ensemble des chromosomes de notre ADN hormis la paire XX ou XY, laquelle détermine notre genre masculin ou féminin. Mais nous sommes tous uniques car notre ADN autosomal provient à 50-50 d’un mélange aléatoire de l’ADN de notre père et de notre mère. Le 50% que nous recevons de l’un de nos deux parents n’est pas le même d’un frère à un autre. Car, même si nos deux parents ont aussi hérité de l’ADN de leurs deux parents à 50-50, cela ne signifie pas que notre ADN provienne à 25% de chacun de nos quatre grands-parents. Un individu pourra avoir hérité à 40% de l’ADN de sa grand-mère maternelle alors que sa soeur aura hérité dans une proportion aussi importante de l’ADN du grand-père maternel.
Je vais m’utiliser ici comme exemple. Ayant appris avec étonnement que mon ADN était à 35% d’origine scandinave (Norvège et sud-ouest de la Suède), je me suis demandé comment cela était possible pour quelqu’un dont la généalogie est à peu près entièrement canadienne-française sur 350 ans. J’ai entrepris de faire tester d’autres Bérubé, une dizaine en fait, en commençant par ma soeur dont l’ADN s’est révélé scandinave à 36%, ses résultats étant par ailleurs très différents des miens pour le reste. Une cousine américaine au 2e degré a obtenu un résultat de 27% alors qu’un Bérubé du Wisconsin appartenant à une autre lignée atteint même 53%. D’autres ont obtenu un résultat moindre en termes d’ADN scandinave, 21%, 14%, 7%, voire 0.
Cela m’a ouvert les yeux sur une dimension plus globale de cette expérience, c’est-à-dire la diversité du bassin génétique québécois. Pour avoir un taux élevé d’ADN scandinave, sans aucun ancêtre scandinave au cours des quatre derniers siècles, il faut nécessairement avoir hérité de cet ADN par plusieurs sources. En ce qui me concerne, je peux identifier 8 de mes 16 arrière-arrière-grands-parents comme porteurs d’un nom d’origine normande ou présumé de Normandie. Mais il faudra que d’autres individus soient testés en plus grand nombre pour que nous puissions mieux comprendre qui nous sommes collectivement. J’y vois personnellement un grand intérêt.
Comment procède-t-on?
En ce qui a trait aux tests d’ADN à des fins généalogiques, une des questions qui sont souvent soulevées est celle de savoir s’il faut une prise de sang ou quelque chose du genre.
Je connais deux façons de procéder. Certaines firmes vous transmettre simplement une éprouvette dans laquelle elle vous demande de donner un peu de votre salive. Dans le cas de FamilyTreeDNA (FTDNA), on vous transmet deux petits contenants dans lesquels se trouve déjà un liquide. Vous recevez également deux petites tiges en plastique de la longueur d’un Q-Tips. Il s’agit simplement de frotter l’extrémité ronde d’une tige sur la paroi intérieure d’une de vos joues, donc dans votre bouche, pendant une dizaine de secondes. Vous placez ensuite l’extrémité en question dans une des petites bouteilles. En pesant sur l’autre extrémité de la tige, comme s’il s’agissait d’un stylo à bille, la partie immergée dans le liquide se détache. Vous bouchez alors cette petite bouteille. Vous répétez le même exercice au moins six heures plus tard avec l’autre tige et l’autre bouteille, une mesure qui sert à valider les résultats obtenus. Vous retournez le tout dans l’enveloppe pré-adressée que vous avez reçu de la firme. Naturellement, il faut au préalable, pour recevoir le matériel, aller sur le site Internet de la firme et commander , parmi les tests disponibles, celui qui correspond à votre intérêt.
Si vous commandez un autre test un peu plus tard, vous n’aurez probablement pas à répéter l’opération, la firme disposant déjà d’un échantillon du matériel génétique à analyser.
L’ADN mitochondrial (ADNmt)
Lorsque nous parlons de l’ADNmt qui se transmet par les mitochondries, ces organites responsables de la production d’énergie dans nos cellules, nous abordons un filon qui permet de suivre l’ascendance matrilinéaire d’une personne. Les mitochondries se transmettant de mère à enfants, il est possible en effet de remonter de mère en mère pour identifier l’origine passée de nos mitochondries.
Puisque les femmes héritent d’un nom de famille différent à chaque génération, les descendantes en ligne directe de notre première ancêtre présente en Nouvelle-France peuvent porter de nos jours autant de noms de familles qu’il peut en exister au Québec. Si chacun des membres d’une association était testé pour son ADNmt, il y en aurait très peu qui remonteraient à votre 1ère ancêtre féminine par leur ascendance matrilinéaire. C’est ainsi que, les associations de familles étant constituées autour d’un patronyme, elles ont naturellement tendance à s’intéresser d’abord à l’ADN-Y avant de se préoccuper de l’ADNmt.
L’ADNmt n’est pas moins intéressant pour autant. Comme il est souvent plus récupérable que l’ADN-Y sur de veilles dépouilles, il a notamment servi à identifier le cadavre de Richard III, roi d’Angleterre mort à la bataille de Bosworth en 1485. Pour valider l’identification de ses restes, retrouvés en 2012, il a fallu obtenir l’ADNmt d’une descendante de la sœur de Richard III. Les résultats ayant confirmé que l’on avait bien retrouvé ce roi plus de cinq siècles après son décès, il a eu droit à une inhumation officielle à la cathédrale de Leicester le 26 mars 2015.
Pour bien illustrer l’intérêt de tests sur l’ADNmt, j’ai choisi de vous parler de mes résultats. Ma mère se classait dans l’haplogroupe H7 qui existe depuis près de 30 000 ans et qui est apparu très tôt en Europe de l’ouest. Il y a des gens qui se classent parmi les H7 partout en Europe, mais aussi en Amérique du Nord. À première vue, il n’y avait rien de spécial à tirer de cette information. Mais, il en va différemment en ce qui a trait au sous-groupe du H7 que l’on a identifié pour mes mitochondries, le H74.
Il y a très peu de porteurs du H74 qui ont été identifiés à ce jour chez les gens testés pour leur ADNmt, ce qui donne à penser que l’ancêtre commune à toutes les H74 a existé beaucoup plus récemment que la 1ère H7, il y a peut-être seulement 2000 ans ou moins. J’ai tenté de faire une recherche sur Internet avec très peu de résultats, mais j’ai finalement trouvé une petite concentration dans le district de Södermanland, juste au sud de Stockholm, en Suède. Toutes les femmes en cause remontent à trois ancêtres, une Olofdotter (en 1659), une Andersdotter (1679) et une Svensdotter (1703). Leurs noms signifient filles d’Olof, d’Anders ou de Sven.
Plus récemment, j’ai appris que mes résultats concordaient avec ceux d’autres Américains et aussi deux métis. Nous avons une ancêtre commune, Jeanne de Voisy (aussi écrit De Vouzy et même Rousy) qui a épousé Nicolas Pelletier à Chartres, France, en 1632. Ce couple est arrivé très tôt à Québec puisque le mari, un charpentier, a contribué à réparer l’Habitation de Champlain dès 1637. On se situe donc avant la fondation de Montréal ou de Sorel et à l’époque de celle de Trois-Rivières. Comme les Européennes étaient alors très rares, une trentaine d’années avant l’arrivée des premières Filles du Roy, deux garçons de Jeanne ont plutôt mariés des Autochtones. Un des deux s’est même marié trois fois, toujours avec une Autochtone.
Je vais probablement m’interroger longtemps sur le fait que Jeanne, venue de Chartres, soit une H74 comme j’en retrouve surtout en Suède à ce jour. Il y a sans doute une explication possible; l’ascendance maternelle de Jeanne doit elle aussi remonter en Normandie. Cela m’a rappelé un article étonnant paru le 6 octobre 2014 sous le titre « Des chercheurs découvrent une nouvelle maladie remontant aux Vikings ». Cette maladie rare découle d’une mutation génétique que l’on ne trouve que chez des Canadiens-français et des Suédois, une parenté étonnante!